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Le Musée des Rites Etudiants et du Bizutage

#03 La délation

La proto université

Il peut sembler surprenant d’évoquer la délation comme un rite étudiant, et pourtant…

Les universités d’Europe fonctionnaient soit sur le modèle de Bologne, soit sur le modèle de Paris.

L’université dans la ville de Paris. XVIIIe s.

Dans les deux cas, le recteur de l’université possède la préséance, lors des
cérémonies, sur les archevêques et les cardinaux. Les professeurs prêtent serment d’obéissance au recteur  des étudiants, et les bedeaux du recteur ont le droit de les interrompre en plein cours. Selon l’usage, les professeurs ne peuvent manquer une seule leçon sans avoir obtenu l’autorisation des élèves, ni prendre congé sans leur autorisation. 

« Dans les universités de type parisien, l’autorité, le gouvernement de la corporation appartient aux professeurs; dans les universités qui s’inspirent de l’organisation bolonaise, les élèves commandent. »

[i]

Les étudiants de Bologne, payant directement leurs maîtres, étaient très
exigeants sur la qualité de l’enseignement prodigué. Ils exigeaient deux
semaines de cours donnés gracieusement afin d’être certains de percevoir la matière idéalement.

« Tout étudiant, sous peine d’amende, doit dénoncer chaque infraction. (…)
Ils instaurèrent jusqu’à un comité de « dénonciateurs de docteurs »,  qui empêchait ces derniers d’être « arrogants », et qui vérifiaient leur travail, tels des contremaîtres commis par une société de capitalistes pour inspecter des ouvriers. »

[ii].

La délation que nous présentons ici, n’est donc pas de la malveillance liée à
une concupiscence, mais n’est que l’expression de la préservation des intérêts de la corporation en place. En veillant et supervisant, elle préserve ses privilèges au plus près.

De nos jours, plusieurs rites font appel à de zélés délateurs. C’est le cas dans certaines contrées portant la faluche, qui fonctionne de façon assez similaire au censors des coronae belges. Ils recueillent les remarques et infligent les sanctions. Nous retrouvons aussi ce fonctionnement au sein des traditions de salles de garde. Or les sanctions peuvent s’avérer de différentes natures (alcool, paillardise, chanson, « sanction », …).

Censor vérifiant que la sanction soit correctement effectuée.
Bruxelles, CILB, 1997

Les carabins tournent la roue pour déterminer ce qui les attend. En
Belgique, les sanctions et les récompenses sont de même nature, et seule la formule de politesse, en latin, informera de la réception d’une polarité ou d’une autre.

Si nous prenons le temps d’envisager que les rites étudiants proviennent pour la majorité de la tradition des étudiants des royaumes de la Bazoche, c’est à dire des juristes, nous comprenons combien cet aspect de délation était important dans l’instruction d’une procédure. Que cela se soit étendu aux rites est une évidence, puisque le jeu de détournement de la réalité est la meilleure forme d’apprentissage.

«A Cahors, (…) Ils élisaient des abbés de Mal-Gouverne, sortes de princes de la Basoche, entourés d’une cours de ducs, de comtes et autres suppôts, et chargés de rendre, avec un accusateur public, une justice grotesque et expéditive. »

[iii]

Dès lors, pour autant que cela ne nuise pas à la corporation étudiante de la faculté, la délation n’est pas tant pour « balancer » un fraudeur aux autorités universitaires, que pour maintenir une cohésion d’ensemble.

Les choses dénoncées étant de l’ordre, en exemple pour une salle de garde, de parler d’un patient lors d’un repas (savoir quitter le métier pour revenir à des choses triviales), ou en Belgique lorsque l’on boit seul (qui est la vraie pente de l’alcoolisme).

Ainsi, une solidarité commune se crée autour de règlements pour rire, et
celle-ci perdurera bien au-delà du temps universitaire.

Sources :

[i] Augustin Cabanès : Mœurs intimes du passé…. Série 4 La vie d’étudiant / docteur Cabanès, Paris, Albin Michel éditeur, 1908-1936,  484 pages, page 5

[ii]  Augustin Cabanès : Mœurs intimes du passé…. Série 4 La vie d’étudiant / docteur Cabanès, Paris, Albin Michel éditeur, 1908-1936,  484 pages, pages 5 & 6

[iii] Augustin Cabanès : Mœurs intimes du passé…. Série 4 La vie d’étudiant / docteur Cabanès, Paris, Albin Michel éditeur, 1908-1936,  484 pages, page 57

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