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Le Musée des Rites Etudiants et du Bizutage

L’approche de la sexualité décomplexée

#06 De l’occurrence de Dionysos à travers les rites étudiants

L’approche de la sexualité décomplexée

Nous le savons, au cours des rites d’Éleusis, le thiase de Bacchus (que l’on peut traduire par l’ensemble des personnes composant le cortège, tels que dryades, satyres, bacchantes,…) porte un panier laissant dépasser un membre masculin démesuré, tout en or. Les satyres du cortège sont eux-mêmes bien fournis d’appendices postiches et caracolent entre les dryades. Or, si Bacchus se voit affublé de ce symbole, il n’en a pas encore dévoilé ses origines. Son rapport avec la semence lui permet d’être présent auprès de Déméter.

Or Déméter résulte du syncrétisme de plusieurs déités plus anciennes, depuis les premiers écrits cunéiformes qui évoquent Inanna, l’étoile du matin.

Inanna porte des noms différents selon l’endroit du culte. Dans l’antique cité mésopotamienne de Babylone, elle régnait sous le nom d’Ashérat, à Carthage sous le nom d’Ishtar.

Baal est un dieu conquérant, parti de presque rien, il est devenu le dieu des dieux. Il avait gagné la place de El et avait fait sien ses épouses Ashérat l’étoile du matin, et ‘Anat l’étoile du soir.

A ses côtés règne le dieu Baal, dont le nom signifie époux. Baal est le principe masculin, quand Ishtar est son pendant féminin. Le culte de ces deux divinités était ponctué par ce que la bible qualifie de prostitution sacrée, et le sexe masculin dressé est l’un des symboles du dieu.

El et Baal

Il est notable que le féminin l’emporte sur le masculin jusqu’à cette époque. Baal est donc un syncrétisme probable de Dimuzu, mais aussi de Zeus, en qualité de dieu des orages, apportant l’élément liquide fertilisant les sols. Dionysos hérite du principe de fertilité et de joie, tout autant qu’il aborde un respect nouveau de la féminité.

La seconde version de l’arrivée de Déméter à Éleusis la trouve assise au puits de pierre, quand survient une ancienne déesse. Celle-ci se nomme Baubô, et sa représentation est assez troublante. Décrite une première fois dans les homérides sous le nom de Iambé, où elle n’est qu’une jeune femme sage et amusante, sous son nom de Baubô, son apparence est tout autre. La déesse voit son visage situé à même son torse, donnant à celui-ci une dimension démesurée comparativement à la taille de son corps. Son visage, toujours de face, situe les yeux à hauteur de la poitrine, et sous la bouche, à l’endroit du menton, se dessine un sexe féminin. Les statuaires la représentent parfois avec des attributs tels que la grappe de raisin (Bacchus), la lyre (Orphée), d’une corbeille de fruits (Déméter). Dans l’ensemble des cas de figure, Baubô/Iambé provoque le sourire de Déméter par des danses et des blagues salaces, ce qui lui permet de rompre son jeûne.

Baubô, dans sa forme la plus connue

L’amusement à connotation sexuée est ce qui revitalise la terre. Il s’agit donc dans les rites étudiants, par la voie de l’amusement grivois, de renouveler le mythe de Baubô/Iambé, et de réactualiser le retour à la vie de Déméter.

Selon Monique Broc-Lapeyre, dans l’article « Pourquoi Baubô a-t-elle fait rire Déméter?« , évoque aussi un point particulier :

Dans le mythe fondateur d’Éleusis c’est donc comme Iambé et par des plaisanteries que Baubô a fait rire Déméter. Certains auteurs en prennent argument pour faire dériver la poésie iambique du culte archaïque de Déméter Éleusinia. Il est vrai que Iambé présente une grande similitude avec le mot iambos, qui désigne un pied de métrique grecque, très proche du rythme naturel de la prose grecque. La conversation, le dialogue spontané, comportent beaucoup de trimètres iambiques. Le iambe, composé d’une brève et d’une longue, marquerait une certaine boiterie drôlatique.

Le verbe iambizein signifiant « harceler quelqu’un de vers moqueurs », nous conduit à ces rituels très particuliers que sont les géphyrismes d’Eleusis, ces échanges de grossièretés entre processionnaires et spectateurs au passage du pont, et aux pratiques de railleries obscènes des femmes aux Thesmophories d’Athènes. Il y aurait une filiation entre les formes de langue du parler populaire, de la poésie iambique, et plus tard de la poésie comique, par la trivialité, les grossièretés, l’obscénité du propos.

Donc une Iambé qui fait rire Déméter par ses plaisanteries. Une Iambé qui serait associée à iambos et au genre littéraire qui en est fait, qui utilise ce qu’on appelle les gros mots, les propos scatologiques, les plaisanteries obscènes. Autrement dit ce qui pourrait être désigné comme le langage du ventre, la voix du bas ventre, la ventriloquie, ce qui, à mon sens est tout à fait à mettre en relation avec cette figuration que l’on donne de Baubô comme d’un ventre formant visage, ou gastrocéphale. Mais d’abord où apparaît Baubô ainsi nommée ? – dans les versions orphiques du texte sacré d’Éleusis (IVème siècle avant J.C.), dont les Pères de l’Église retiendront surtout la version particulière où va intervenir Baubô comme femme de Dysaulès, habitant d’Eleusis mère de Triptolème, le bouvier, d’Eumolpos, le pâtre, et d’Eubouleus le porcher. Dans cette version, c’est Baubô qui offre l’hospitalité à la déesse au désespoir, lui donnant à boire du cycéon, que celle-ci prostrée par son chagrin, refuse de boire. C’est alors que Baubô, de dépit, découvre ta aiodia, ses parties honteuses, et les montre à la déesse qui, toute réjouie à la vue de ce spectacle, accepte aussitôt le breuvage.

Il devient clair par cette démonstration que Iambé, pour autant que l’on accepte cette étymologie, soit à l’origine d’une certaine forme de poésie comique. Que celle-ci, présente au sein des dionysies lors des représentations théâtrales liées aux mystères Eleusiniens, fut plus tard colporté par la jeunesse théâtralisant les mystères au sein des églises chrétiennes. Nous connaissons la suite : ces pièces de plus en plus grossières seront rejetées sur les parvis. Les étudiants de la proto-université créaient les soties et engendraient le théâtre moderne. Les universitaires ritualisés préserveront les représentations théâtrales satyriques tout au long de leur histoire, et aujourd’hui encore, bien que cela se fasse plus rare, les revues d’associations étudiantes chambrent leurs professeurs, ou l’actualité en y mêlant souvent Bacchus et les panthéons grec et romain.

Dionysos, tiré du livret de la revue de Médecine de Lille de mars 1930 : » La Section de Médecine éjacule …. Plein la VU..E ! Revue hypergauloise esbaudissante et rabelaisienne de Jo. « 

Qu’il s’agisse du pénis démesuré des adeptes de Dionysos, ou de la vulve outrancière de Baubô, c’est toujours le syncrétisme du rite primal de fertilité. Avec la chrétienté, ces principes furent réduits à la sexualité qu’il fallait réprimer à tout prix, ce qui n’a pas écarté l’acculturation des symboles. Ainsi, au Moyen Age, l’acculturation de Baubô se fait sentir par la représentation souvent tendancieuse du Saint-Esprit. La colombe correspond alors étrangement à une représentation de pénis ailé.

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