#03 De l’occurrence de Dionysos à travers les rites étudiants
Selon les sources, Dionysos fut conçu par Sémélé, une héroïne dont le nom même est rattaché au sol terrestre, ou encore de Perséphone, voire de Déméter. Dans l’ensemble de ces filiations, l’aspect du sol comme support de la renaissance de la vie végétale transparaît. Ce qui, placé face à l’autre figure parentale, Zeus, indique l’union de la terre et du ciel. Sous cet angle, Dionysos peut être perçu comme le lien entre les hommes et les dieux.
Sa vie même révèle le passage vie/mort/vie sous plusieurs mythes entremêlés. Arrivé tardivement dans le panthéon divin de l’Attique, plusieurs fois mis à mort et ressuscité, le jeune demi-dieu parcours la terre et ensemence les esprits par une réappropriation des mythes. Ses cadeaux sont toujours riches, mais mal maîtrisés, ces derniers peuvent se révéler fatals. Ainsi, il libère la féminité de sa condition inférieure à la masculinité. Il l’envoie dans les marges : les forêts, les lieux isolés, et s’arrange pour provoquer le travestissement du masculin en féminin afin de les réunir sous une forme de concorde. Mal maîtrisé, le travestissement tombe en révélant l’objet de répulsion que représente désormais la masculinité. Le principe masculin est alors tué et dépecé par sa propre figure maternelle.

La féminité primordiale reparaît au grand jour comme une figure guerrière. C’est le mythe plus ancien qui reparaît, celui de l’antique déesse Inanna, elle-même reliée à la végétation, au principe de vie/mort/vie par sa descente aux enfers, sa mort et sa résurrection, et déesse de l’amour comme de la guerre. Elle enverra son mari, un humain nommé Dumuzi, aux enfers à sa place en pénitence de sa prétention à la remplacer. Elle se radoucira plus tard en alternant tous les semestres entre le règne du vivant, et la visitation de sa sœur qui règne sur les enfers.
Ce jeu de vie/mort/vie correspond, dans le registre des rites des étudiants, au schéma des deposito, et des autres cérémonies qui lui ont succédé (bizutage, baptêmes, usinages, …). En effet, c’est pour le nouveau, à la fois la consécration d’une réussite préalable (obtention du diplôme/baccalauréat) qui lui ouvre les portes de la félicité (accession à l’Université), et la faute de se croire déjà parvenu à une profession corporalisée, alors que tout reste à produire. Sous le patronage de Bacchus, le nouveau subira des épreuves parmi lesquelles le travestissement joue un rôle important. Qu’il s’agisse de rabaissement à une animalité symbolique ou d’une inversion du genre de l’individu, c’est toujours une invitation à déplacer le regard sous une autre focale. Cela réalisé, l’individu renaîtra sous une forme compatible au monde dans lequel il pénètre.
La vengeance de Bacchus, tout comme celle d’Inanna, est à envisager plus comme une contrainte à vivre autrement, qu’à une mort effective. Sous cet angle, la punition pour les pirates qui ont pris Bacchus pour le vendre comme esclave est exemplaire, puisqu’il rejeta à l’eau et transforma les pirates en dauphins. Sous cette forme, ils évoluent normalement dans leur nouvel élément, et aident les marins et les naufragés à retrouver la terre. En transportant l’individu dans les marges, Bacchus les améliore en leur permettant de reconnaître leur hybris (à traduire par la démesure de l’orgueil), et leur offre la possibilité d’évoluer. Mais gare à qui ne reconnaît pas la divinité, car elle restera aveugle à ses dons.
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