#01 De l’occurrence de Dionysos à travers les rites étudiants
Dionysos est aussi connu sous la forme de Bákkhos, Bacchus, mais aussi par syncrétisme, Liber pater, Osiris, … Il est connu comme divinité de la fertilité, du vin et de l’allégresse.
Qu’il apparaisse dans une chanson, un serment, ou qu’il donne son nom à un insigne, le dieu Bacchus est rémanent dans les traditions étudiantes d’Europe. Ainsi, les goliardia italiennes reçoivent et donnent sous les auspices de Vénus, Bacchus et du tabac (produit élevé chez eux au rang de divinité). Les français sont baptisés sous son nom, la Belgique et la France se réfèrent à une broche dénommée «Bacchus» pour justifier de leur familiarité et de leur résistance avec la boisson alcoolisée.
Dionysos s’avère donc être une figure intéressante à placer en regard des rites étudiants. Mais l’apparition de cette personnalité, observée au cas par cas, nous apporte-t-elle une meilleure connaissance de ce que peuvent être les rites étudiants ?
Dionysos
Considérons cette divinité grecque tardive sous l’angle de son histoire. Tout d’abord, il est le fils de Zeus/Jupiter et d’une mortelle nommée Sémélé, qui était la fille du roi de Thèbes. Né avant terme suite au décès de sa mère, il fut placé dans la cuisse de son père, d’où il renaîtra une seconde fois. S’applique ainsi le principe « vie/mort/vie » pour la première fois. Il naitra une seconde fois de Perséphone, fille de Déméter. Demi-dieu, et fils du roi des dieux, il nous apparaît mortel. Ce premier point, essentiel, permit son acculturation par la religion chrétienne. Il sera tué, démembré, et ressuscitera trois fois, avant de rejoindre le rang des dieux. Ses occupations le portent à secourir, et libérer les femmes. Il recueillera Ariane, qui fut abandonnée par Thésée, et la prendra pour épouse. Il sera l’unique époux divin à rester fidèle à sa compagne. Divinité agraire, c’est par la vigne et le vin qu’il sera représenté. Il aime festoyer, danser, et le théâtre. Entouré de faunes et de satyres, ce sont bien les élans pulsionnels de la vie auxquels il préside, en enseignant par l’excès, les limites. C’est un dieu affable et doux, joyeux et à l’écoute. A l’image de la nature, les dons de Dionysos doivent être maîtrisés sous peine de catastrophe.
Sous l’angle des rites étudiants, c’est le vin qui paraît lié à Bacchus. Ce vin apprend à l’individu à dépasser ses inhibitions, à trouver ses propres limites, à découvrir le potentiel violent de l’ivresse, et à mieux se maîtriser. Ce qui, dans le cadre d’une profession corporative, sera un atout.
Ampélos, l’approche viticole

Museum number 1850,0810.716
Description Recto : Statue of Dionysus holding a winecup in his right hand and a bunch of grapes in his left hand at left and a satyr (later identified as Ampelus) holding a club with a panther between his legs at right; Dionysus has his left arm wrapped around the satyr; front view directed to left Etching © The Trustees of the British Museum
Au cours de son histoire, Bacchus vécut une première histoire d’amour avec Ampélos, un jeune satyre. Bacchus fut prévenu du décès imminent de son amant. Bacchus tente de raisonner le satyre, qui désire aller chasser seul. Ce dernier, une fois trépassé, se métamorphose en vigne.
C’est la figuration du passage de l’adolescence à celui d’adulte qui est évoquée, et le qualificatif d’éromène attribué au satyre témoigne du statut de tuteur en la personne de Bacchus. Nous sommes dans un cadre de professeur à élève, tout autant que dans celui des affaires de cœur. Bacchus est le patron de la jeunesse qui s’éduque et qui se cherche, autant qu’une figure agraire. C’est bien Bacchus qui est le maître de la vigne et du vin, Ampélos étant son protégé qui, une fois façonné, se révèlera prolifique.
La mort d’Ampélos évoque aussi l’hybris de la jeunesse, qui est chose normale qu’il faut apprendre à maîtriser en grandissant. Le passage de vie à trépas guette l’imprudent qui ne parviendra pas à se contrôler une fois adulte. En renonçant à prendre en compte les conseils de son tuteur, Ampélos se voit mortifié. Bacchus est un dieu des limites.
L’invocation de Bacchus est souvent une allégorie des plaisirs de la table, et principalement du vin. Ce breuvage, comme les boissons alcoolisées en général, est utilisé dans la majorité des usages rituels étudiants. Les étudiants célèbrent toujours les plaisirs de la vie en communauté. Les banquets, les kneipes, les coronas sont des moments privilégiés s’étendant au-delà de la simple agrégation à un corps professionnel en formation, mais participant à développer les coutumes corporatistes qui les réuniront tout au long de leur vie professionnelle.
L’état second provoqué par l’absorption d’alcool est considéré comme un détachement des attaches terrestres afin de s’intégrer à la divinité. C’est pourquoi le vin est considéré comme le symbole de la bénédiction de Dieu (Genèse 27,28) et l’alliance entre Dieu et son peuple. (Exode 29,40). Le vin assure le lien entre les dieux et les hommes, mais aussi le lien parmi les hommes entre eux. La vigne fut la première plante transplantée par Noé après le déluge.
L’ivresse est une petite mort allégorique, plaçant la personne sur un plan transcendantal, entre l’humain et la divinité. Personne ne s’interroge plus loin que ce principe lorsqu’il vit les traditions. Le vin possède pourtant une vertu connue depuis l’Antiquité. Il sert à nettoyer les plaies ouvertes. Si l’alcool n’est plus reconnu comme étant antiseptique, il possède toutefois des qualités antibactériennes reconnues. C’est donc un également un vecteur de soin. Ainsi, l’ivresse peut être vécue comme la mort et la résurrection. Ce symbole n’est-il pas lié au premier miracle de Jésus-Christ, dont nous connaissons tous la fin tragique et ce qu’il s’en suivit?
Dans l’Égypte pharaonique, le vin était sacré. Il permettait d’ « ouvrir la bouche », et à ce titre était placé parmi les nourritures régulièrement placées dans les tombeaux. Là encore, c’est le principe de vie/mort/vie qui transparaît.
Ainsi, la mort d’Ampélos nous ouvre, au travers de la vigne, une voie directe aux dieux et à la résurrection.
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