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Le Musée des Rites Etudiants et du Bizutage

L’actualité décryptée par le bizutage

Le bizutage est un rite d’agrégation au système d’études universitaires, système qui doit être compris comme l’antichambre d’une corporation de métier. Ce n’est pas un rite de passage, même si des rites de passage internes peuvent exister. Le bizutage a également pour rôle de cibler les personnalités les plus à même d’assurer la succession de la corporation.

Ce rite met en scène des violences, de façon théâtralisée, par toute une série de brimades et de vexations, que certains étudiants perpétuent pour une série de raisons allant de la pratique magique pour attirer la réussite sociale, à la réactualisation d’un mythe primordial déjà pratiqué dans les deposito du Moyen Age. À cette époque,la deposito était menée par un officier de l’université. Ce n’est qu’à partir du moment où l’université s’est désengagée du processus, à la Renaissance, que les étudiants prirent la relève. Mais ceux-ci se considéraient aptes à poursuivre le rite qu’ils avaient eux-mêmes vécu.

L’aspect théâtralisé, le rapport à la liberté sexuelle, et le rapport à la boisson alcoolisée de catégorie de licence 3 (vin ou bière), les cortèges processionnels aussi, se rapportant assurément aux cultes ancestraux pré-chrétiens, par Dionysos, et avant lui en remontant à Innana / Ishtar.

Durant des générations, ces brimades étaient perçues comme « l’école de la vie », et étaient autant indispensables aux jeunes gens qui devaient jeter leur gourme, que le service militaire. Apprendre la rudesse de l’existence, à faire face aux ordres idiots sans se dénigrer eux-mêmes.

Bien sûr, l’accident existait, et les vexations étaient parfois poussées très loin. Dans ces cas-là, les lois existaient pour remettre de l’ordre. Toutefois, de nombreuses circulaires furent publiées en 1928, 1944, 1945, 1954, 1962, et 1964 pour régenter un peu plus le niveau de violence des bizutages, et une tentative avortée de légiférer en 1993 menée par Ségolène Royal.

La société contemporaine,toujours en recherche du risque zéro, maintien de plus en plus en tension les pratiques du travail, augmentant la production en fil tendu, et en rejetant la faute d’une erreur sur les employés qui doivent préserver une attention toujours plus constante sur leur ouvrage, tout en réduisant le temps de travail, et les pertes de matière première. Cet état de fait provoque l’évolution des métiers, et là où le rite d’agrégation devrait renforcer la solidité des nouveaux, la société proteste contre une violence fictive. L’ouvrier et l’employé sont à présent des fusibles que l’on retire de la sphère du travail pour éviter d’assumer sa propre incompétence. 

C’est dans ce contexte que Ségolène Royal, alors ministre de l’enseignement scolaire en France, prit des mesures en 1998 par l’instauration d’une loi. Celle-ci, mal formulée, se révèle assez inefficace au demeurant, puisqu’elle appelle à dénonciation (ce qui d’un point de vue moral est déjà tendancieux), ensuite parce qu’elle mélange beaucoup de choses incompatibles entre elles. Ainsi, si l’on appliquait cette loi à la lettre, une personne non informée voyant passer des jeunes hommes déguisés en femme dans un contexte socio-éducatif (tel le scoutisme, par exemple) pourrait porter plainte pour bizutage sans savoir s’il s’agit de cela oud’acteurs d’une pièce de théâtre. L’état recevant cette plainte n’aurait d’autre choix que d’ouvrir le champ à ce qui est considéré comme relevant du délit.

En 2010 encore, Ségolène Royal publie un communiqué énonçant « le devoir de protection dû à chaque élève interdit toute complaisance et toute loi du silence à l’égard de ces pseudos-rites d’intégration qui portent atteinte à la dignité et à l’intégrité des adolescents ».

Elle va jusqu’à tenter d’ingérer auprès de la Belgique en 2013, en proposant au premier ministre Elio di Rupo de s’inspirer de la législation anti bizutage de 1998.

Petit dessin d’actualité en 2013

On me questionnait récemment à propos d’existence ou non des risques liés aux bizutages. Evidemment qu’il y a des risques. Le bizutage peut s’avérer très dangereux dans certaines conditions.

Les conditions du danger sont imputables à différentes sources :

  • La mauvaise évaluation au sein des nouveaux de ceux amenés à perpétuer le rite. Ce danger peut être compensé par un comité de surveillance des anciens.
  • L’erreur ou la bêtise humaine : mauvaise évaluation du terrain, des outils du rite, la stupidité de l’emportement à pratiquer des actes de torture (Paris Dauphine 2011, ENSAM Angers 2017). Ces personnes n’ont pas compris l’aspect théâtralisé et sont passés aux actes. L’accident est également possible. Pas de garde-fou pour ces cas-là.
  • La modification du rituel par soucis de suivre les contraintes hiérarchiques (interdictions de l’université,modification des lois, volonté de suivre une tendance philosophique). Le danger est moins physique que psychologique dans ce cas, car en dénaturant une pratique rituelle, on encourt le risque d’amoindrir, ou de supprimer son efficacité.
  • La dictature des lobbys partisans du quant à soi est également une menace. Ces lobbys sont composés d’individus renonçant à se confronter à toute difficulté, mais n’hésiteront pas à placer dans la difficulté ceux et celles dont ils auront fait leur bouc émissaire. C’est ainsi que deviendront imputables aux rites d’agrégation les actes de personnes isolées tel que l’incident de Centrale en octobre 2018.

Les violences des rites d’agrégation étudiants sont souvent perçues par des postures de soumission telles que l’exemple belge du gueule en terre, où le nouveau peut passer de longues minutes à genoux, la tête au ras du sol.

Pratique du gueule-en-terre parles bleus en Belgique
Mantes la Jolie 07 décembre 2018

Aussi cela me laisse perplexe de penser à la championne en titre de l’anti-bizutage, Ségolène Royal, qui se laisse aller à dire en évoquant le parcage de 150 lycéens arrêtés lors d’une manifestation devant leur lycée :

« Disons qu’au début les images m’ont surprise, tout un chacun, euh, au lieu d’être à genoux ils pouvaient p’t-êt’e être assis, m’enfin bon, et après j’ai regardé ce qui s’était passé sur euh, sur Mantes. Et j’me suis d’mandé pourquoi euh, les policiers avaient mis en place cette euh, cette stratégie assez euh, assez efficace d’ailleurs, hein, de, de coincer les jeunes euh, de chaque côté pour que… ils cessent de, de faire des exactions de, dans la rue. (…) les policiers ont parfaitement bien réglé les choses ! Il y a eu aucun blessé, il y a eu aucun problème, euh, ces jeunes se sont retrouvés effectivement dans des postures de, que les plus anciens euh, euh, choquent. Ça choque, parc’que ça rappelle, peut-être, d’autres,d’autres images mais, quand même, soyons un peu euh, efficaces, et, et un peu concrets, ça leur a pas fait de mal aussi à ces jeunes, hein ? De savoir ce que c’est de… que le maintien de l’ordre, la police, se tenir tranquille,Voilà, ça leur fera un souv’nir, euh, et, euh, et, et, vraiment heu, c’est pas mal. »


Oui, nous le constatons, sa conclusion est bien :

« ça leur a pas fait de mal aussi à ces jeunes, hein ? De savoir ce que c’est de… que le maintien de l’ordre, la police, se tenir tranquille, Voilà, ça leur fera un souv’nir, euh, et, euh, et, et, vraiment heu, c’est pas mal. »

Nous avons donc deux poids et deux mesures pour cette personne. D’un côté, les pauvres jeunes malmenés par des sadiques. De l’autre, des jeunes gens réunis, sans volonté d’humiliation mais par soucis d’efficacité les forces de l’ordre.

Toujours se ranger du côté du plus fort, les lobbys et les forces de l’ordre.

Quod erat demonstrandum !

Commandant RoSWeLL

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